Jouer dans ces productions a souvent nécessité le jeu filmique et le jeu théâtral, du point de vue technique. Du point de vue circonstanciel, le jeu était littéralement théâtral et filmique simultanément.
Lance GHARAVI
Essai de la théorisation sur l’art de l’acteur dans le théâtre virtuel
De nombreuses questions sont soulevées par la scénographie virtuelle performative, sa capacité d’immersion et la perception des spectateurs, ou plutôt de « spectActeurs » dans un théâtre virtuel[1] et leur contribution sur la déroulement des spectacles : l’incarnation des personnages, l’interprétation de l’œuvre comme construction du sens et comme réalisation de leur propre cadrage. Indubitablement, dans un spectacle de théâtre virtuel, le rôle du spectateur est augmenté en lui donnant la fonction d’agent organisateur de la perception.
Pourtant, même si on perçoit un changement évident d’attention de l’acteur vers le spectateur, il n’y a pas beaucoup d’analyses faites sur la situation d’acteur dans ce genre d’événement spectaculaire, premièrement a cause du cliché que dans un spectacle de théâtre virtuel, pour l’acteur, il ne reste rien a jouer, et, s’il reste, son rôle et ses fonctions sont diminués.
« L’immédiateté et la nature « live » sacrés du théâtre, le corps saint de l’acteur pourraient être dépouillé seulement par la virtualité et la culture pop, par l’aura commerciale des médias numériques. Nous avons été souvent accusés d’essayer de détruire le théâtre ou d’essayer de provoquer la destruction de l’acteur. Ce que nous faisions a vraiment attaque les sentiments des personnes au sujet du théâtre et de la présence, leurs soupçons au sujet de la technologie, et leur croyance métaphysique au sujet du statut ontologique de la performance théâtrale, » affirme Lance Gharavi, en parlant de l’expérience de théâtre virtuel en Kansas.
La question de l’acteur qui ne joue pas peut être intégrée dans le contexte plus générale de la question du théâtre qui n’est pas vraiment de théâtre, parce qu’il n’y a pas de récit, de situations, d’action, ou de sens. Nous pouvons nous demander, dans cet ordre d’idées, de quelle sorte de théâtre, de quelle sorte de sens, et, de plus, de quelle sorte de jeu on parle ? Oui, si nous discutons tous ces aspects par rapport au concept de réalisme psychologique du théâtre de XIXeme et du XXeme siècles, nous pouvons accepter le fait que nous sommes témoins d’un changement évident dans l’esthétique de l’art de l’acteur, mais, en même temps, ce genre de changement n’est pas singulier dans l’histoire du théâtre universel.
L’acteur dans le théâtre virtuel joue simplement d’une autre manière que l’acteur de théâtre psychologique, s’appuyant sur des techniques plus variées et empruntées a d’autres arts, dans le but de faire face aux nouvelles technologies.
Jeu filmique/Jeu théâtral
Les nouvelles technologies avec les nouvelles valeurs qu’elles véhiculent et, surtout, par leurs propres imperfections (la rigidité et l’immobilité des écrans pour la projection qui obligent l’acteur a se tenir plutôt en l’avant-scène) modifient concrètement le jeu de l’acteur.
Cet acteur doit jouer dans une œuvre incomplète, dans une réalité intermédiaire, dans un théâtre qui se développe pendant les répétitions, sans s’achever.
Quand Jenny Nichols parle des influences déterminées par l’introduction de la RV, elle mentionne plusieurs aspects particuliers.
« Premièrement, j’ai su que l’assistance voyait des choses que je ne voyais pas, j’ai su que j’étais simplement une image dans leurs lunettes, toujours comme d’autres images (…) je pense que le sens sur lequel j’ai dû le plus compter était l’imagination. Je me sentais vraiment exister dans un monde différent. Je savais que quand j’avais vu de la neige dans ma tête, le public en avait vu aussi. J’espérais juste qu’a la fin, on allait obtenir une image globale. Je n’ai pas vraiment eu d’autre choix. Il y avait des périodes ou j’ai demandé ce qui était projeté dans les lunettes, et il y avait des périodes où Ron me ferait savoir ce qui se produisait, mais je considérais cet aspect comme l’éclairage, la musique, les costumes. »
Le manque d’information complète, la conscience de la concurrence des autres éléments comme sources de message, l’accent mis surtout sur l’imagination et la capacité d’agir sans avoir une image finale de ce qui se passe sur la scène : tous ces aspects sont très proches de ce que l’acteur doit surpasser quand il fait partie d’un projet cinématographique.
L’évolution du théâtre dans le sens ou certains spectacles sont conçus comme des films (le montage/ le cadrage, les projections de chapitres, le caractère fragmentaire de récit) n’est pas une nouveauté.
En fait, le développement d’une vision cinématographique du théâtre et le travail avec l’image obligent l’acteur à une extrême précision dans le jeu, ou il doit s’adapter a une hybridation des espaces et du temps, a une juxtaposition des échelles différentes, des gros plans et de plans généraux, des registres variés de la réalité objective et subjective, souvent en même temps et qui, a la fin, donnent au public un dispositif de vision non fusionnelle, disjointe, du point de vue de la compréhension, mais un sens intérieur globale, du point de vue de l’émotion.
Les « réalités » de l’acteur/le profil de l’acteur
Je utilise la notion « registre de la réalité » pour rendre compte de l’éclat, des divisions et des multiplications que l’acteur doit subir sur la scène.
La coexistence des différents registres de cette réalité implique une tension entre la perception de l’acteur de son corps vivant, de sa matérialité et de l’image mentale de son corps virtuel, visible dans la « réalité physique » des moniteurs de HMD seulement pour le public.
L’acteur connaît aussi le fait qu’il peut être vu de partout, de n’importe quel angle, dans une perspective globale, ce qui exige de lui, de plus, un contrôle global de son corps, de son profil, de son regard. Son corps, ses gestes, ses positions, sa voix sont extraits de leur continuum dans le temps et l’espace et ils sont introduits dans un environnement fragmentaire qui exige qu’il maintienne un esprit ouvert, qu’il renonce a un approche globalisante et qu’il tolère psychologiquement la rupture radicale entre la réalité scénique et la réalité dramatique.
En même temps, il est tout à fait conscient qu’il n’est plus l’objet d’un regard constant et que l’attention de public se partage entre lui, ses images « doppelganger »et les images variées de la RV.
Pour répondre à toutes ces exigences, l’acteur doit s’approprier des techniques de jeu de cinéma et les plier a son jeu théâtral général. Ainsi, il se rend compte que, par rapport au jeu théâtral, maintenant, sa performance sur la scène, même si elle se passe en temps réel, subit un processus de médiatisation (qui représente, par définition, la différence majeure entre l’acteur de cinéma et l’acteur de théâtre) et, par conséquent, une transformation potentielle par une tierce personne (l’appareil vidéo, le technicien qui travaille avec l’ordinateur).
La médiatisation par l’appareil vidéo et le manque apparent de contrôle sur sa propre image présentée/représentée au public, lui donnent, dans ce cas, le statut de support pour la performance des autres éléments, et, dans un cas plus général, le statut d’acteur de film dont l’importance se trouve sur le même plan que tous les autre aspects techniques et artistiques de l’œuvre.
Pourtant, la même médiatisation donne a son statut une nature plus complexe car, dans le contexte de théâtre virtuel ou l’image se crée en temps réel, elle change aussi de définition et n’est plus un critère qui permet de distinguer le live de l’enregistré. Le statut d’acteur devient une hybridation du vivant et du médiatisé, pendant que le spectacle vivant n’est plus défini par la coprésence des acteurs et des spectateurs dans le même lieu physique, mais par la médiation ou les acteurs et les spectateurs se rencontrent et communiquent entre eux par le biais d’interfaces numériques.
Par conséquent, l’acteur ajuste son jeu à la médiatisation du théâtre virtuel à l’aide des règles et de la technique cinématographique.
Il connaît ce que l’appareil vidéo essaye de capturer dans chaque moment de la représentation (quel geste, quelle partie du corps, quelle expression sur son visage), il connaît quelle est la relation des autres acteurs et de sa position spatiale avec l’appareil photo, il sait que, par rapport au théâtre, ou il doit élargir sa performance, afin que l’ensemble du public puisse le voir, pour l’appareil vidéo, il doit la rétrécir.
L’arrangement spatial ou la mise en place du corps est crucial à la fois pour le théâtre et pour la vidéo. L’acteur doit rester dans un cadrage fixe ou il doit faire des gestes et des mouvements qui peuvent sembler paradoxaux du point de vue de la représentation théâtrale (par exemple, il fait un pas en avant, en s’approchant de son partenaire, pour s’ajuster a l’appareil vidéo, quand la réaction normale et logique est de s’écarter).
L’acteur doit aussi prendre en compte les points spécifiques dans l’espace qui marquent où ses mouvements doivent commencer ou finir.
En effet, tout comme les acteurs de film, les acteurs d’une représentation virtuelle apprennent à commander et moduler leurs comportements pour adapter une variété de situations, pour cultiver et pour rendre les visages significatifs ou les gestes évidents.
Le but de la technique de l’acteur, en général, est sa lutte pour l’unité, pour une intégrité organique de la représentation.
Les conditions techniques sur la scène dans une production virtuelle, tout comme pour un film, exigent que cette continuité soit détruite.
« Je dois jeter un coup d’œil vers l’écran et savoir la direction du regard du personnage projeté ou je dois savoir ou se trouve le lit sur l’écran et aller m’asseoir même s’il n’est pas vraiment la. En plus, nous travaillons avec des projections qu’on ne peut pas vraiment voir. On voit des images confuses dont on ne connaît pas la position dans l’espace tridimensionnel » affirme l’acteur qui joue Monsieur Zéro dans The Adding Machine.
C’est-à-dire que les acteurs font des actions qui intègrent leur monde immédiat, scénique dans un plus grand monde construit en dehors de la scène, par des techniciens et opérateurs de l’ordinateur, mais qui, par rapport au film, travaillent en temps réel.
La neige virtuelle descend, l’acteur doit la regarder, réagir à elle et la toucher. Donc, c’est important que les acteurs coordonnent ce qu’ils font aux choses autour d’eux, qu’ils ne voient pas mais qu’ils savent être là. Et, le plus important, ils doivent se coordonner avec les techniciens en l’arrière plan qui sont « dans le moment », juste comme les acteurs, commandant les images, et agissant avec la même précision que les acteurs.
« Ainsi, les acteurs étaient raccordés à l’action sur la scène et au technicien qui manipulait le programme qui, par exemple, a agrandi l’image du Patron. Le technicien a eu également a faire cela dans une coordination parfaite avec ce qui se passait sur la scène. Le Patron et l’opérateur pouvaient entendre ce qui se produisait sur la scène, ainsi ils ont pu inter agir en temps réel avec l’action de l’acteur, » raconte Ron Willis.
De ce point de vue, nous observons que c’est la précision d’exécution du jeu qui va donner aux acteurs la capacité de se présenter, se représenter et « se transmettre » avec l’intensité suffisante pour permettre au spectateur de s’engager dans l’illusion théâtrale.
L’acteur doit s’approprier des techniques d’articulation qui s’appliquent premièrement au corps. Faire cohabiter en même temps plusieurs axes dans son corps lui donne la capacité d’émettre simultanément plusieurs intentions (vers le partenaire virtuel, vers le partenaire réel, vers l’appareil vidéo) en créant des rapports dialectiques entre elles.
Ce qui est le plus difficile pour un acteur qui se sent majoritairement le producteur du sens, c’est d’accepter de donner toute sa place aux autres agents dramatiques, mais, en faisant cela, l’acteur devient, aussi matière et créateur.
Le naturel de cet acteur de théâtre virtuel, qui sait se mettre dans le champ visuel et faire jouer la partie enregistrée par l’objectif est l’hyper conscience du fonctionnement de l’image.
Dans le cas de ces deux spectacles, les images n’étant pas perçues par les acteurs, la technique utilisée par le metteur en scène afin de les aider a développer un sens intérieur de ce qui se passe sur la scène et de les rendre plus précis dans leurs actions, a été tout a fait simple, mais efficace : la description systématique de se qui se passe sur les écrans, sur les moniteurs de HMD, a partir de la quelle, peu a peu, l’acteur associe telle sensation, telle mouvement avec telle résultat décrit par l’observateur.
L’hyperréalisme de la RV détermine une catégorie de jeu stylisé. Pourtant, pour faire face a la complexité des mises en scènes, les acteurs emploient un jeu psychologique (l’étude du caractère, leur jeu sur l’émotion), du mime (par exemple l’acteur qui joue Zéro mime le fait qu’il s’asseoit sur un tabouret imaginaire devant une table projetée) et un jeu expressionniste (le moment ou ils jouent pour l’appareil vidéo ; leurs maquillages sont aussi expressionnistes).
Le choix d’un type de jeu conduit à différentes manières de représenter le corps. Dans le contexte du théâtre virtuel, le jeu filmique permet au corps de l’acteur de ne pas s’inscrire dans le virtuel comme par effraction et de construire une relation maîtrisée et harmonieuse entre son corps physique et son corps de personnage numérique.
Cela implique pour lui un apprentissage et une maîtrise de son corps très spécifiques. La réussite ou l’échec des spectacles de ce type dépend de la capacité de l’acteur à s’adapter à ses nouvelles conditions de jeu, à la scénographie en mouvement qui, pour lui, demeure encore en deux dimensions.
[1] Le syntagme théâtre virtuel fait référence aux formes de théâtre virtuel nommées par Gabriela Giannchi dans Théâtres Virtuels, ou l’immersion des spectateurs et l’interaction avec le monde de la RV devient l’accent principal de spectacles.