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L’ACTEUR DANS LE THEATRE VIRTUEL. The Adding Machine et Wings. Part 1

Ainsi, nous arrivons à la question de l’acteur.

L’artiste médiocre préfère ne pas prendre des risques, à cause de cela, il est conventionnel. Tout qui est conventionnel, tout qui est médiocre est lié à cette crainte. L’acteur conventionnel met « un sceau » sur son travail, et le cachetage est un acte défensif.

                                                Pour s’ouvrir, on doit détruire les murs.[1]

 

Peter BROOK, The Open Door. Thoughts on Acting and Theatre

 

 

 

 

 

       La technologie : l’espace privilégié pour des tensions artistiques

 

            Les technologies numériques d’aujourd’hui ont créé un nouveau modèle de la réalité objective. Le changement qu’ils ont produit nous contraint à reconsidérer nos propres perceptions de cette réalité et ses rapports avec ce que, maintenant, on appelle la réalité virtuelle[2] (R V), tandis que leur potentiel artistique nous oblige à les explorer dans la syntaxe post modernisme – post humanisme.

            La science et la technologie poussent en avant les frontières de la connaissance, alors que l’art est invité pour refléter ces nouvelles expériences. Le théâtre connaît, comme tous les secteurs du spectacle vivant, une tendance a évoluer vers les technologies numériques au niveau de la conception, de la répétition et de la conduite des spectacles. Ces changements impliquent une redéfinition du jeu des acteurs, du rôle des techniciens, de la fonction des metteurs en scène et de la relation avec le public. En plus, elles peuvent être aussi importantes que l’apport de la machinerie scénographique à la fin du XIXème siècle, en faisant du théâtre une entreprise technologique et artistique pour laquelle l’outil se plie ou non au service d’un argument dramaturgique, d’un jeu d’acteur et d’une expression artistique.

           

·        Qu’attendons-nous de la technologie de point de vue du théâtre ?

·        Les nouvelles technologies devraient-elles être un sujet d’inquiétude pour les metteurs en scène, les acteurs, le public ?

·        Est-ce que l’acteur face a face avec un monde virtuel, peuplé par des personnages virtuels qui lui donnent la réplique, va s’en sortir a la hauteur de ses capacités de jeu ?

            Ces trois questions, même si, probablement, elles ont l’air faciles et gratuites, expriment des inquiétudes qui, généralement, émergent au commencement et pendant le processus de presque chaque mise en scène ou des nouvelles technologies sont employées.

           

            Le contexte général du problème

           

            Quelques remarques générales sur ce sujet sont nécessaires.

            Constamment, a travers de l’histoire de l’humanité, il y a eu des controverses et des tensions a partir de l’utilisation des nouvelles inventions techniques dans la vie quotidienne. Ces tensions ont été au bénéfice de l’évolution dans tous les domaines, parce que les personnes qui les ont utilisé se sont posées des questions sur leur systeme axiologique, leur éthique, leur responsabilité sociale, leurs principes, leurs idéaux, leurs croyances et leurs identités artistiques.

               Les technologies ont rendu aussi possible l’exploration, au niveau de l’art ou du théâtre, des rapports existants entre le biologique, le corporel, le psychique et l’artificiel, entre les mondes possibles et impossibles, entre le temps du présent et le temps de la mémoire, entre la réalité ou les réalités et l’imaginaire. Au XXIeme siècle, l'Internet et le monde virtuel (définis tous les deux comme des outils de la communication, mais aussi comme des médias artistiques et d'expression) représentent le « brand » du temps contemporain, en changeant implicitement les pratiques culturelles et sociales. 

               L'âge numérique est également devenu un contexte extrêmement fertile pour le développement des structures interdisciplinaires et interactives. Le concept de « inter médias », définit comme l’intégration de différentes structures esthétiques dans un nouveau contexte, un nouveau système (des structures ou des techniques narratives filmiques ou d'éclairage dans le théâtre, de la technologie virtuelle dans le jeu des acteurs) décrit parfaitement le phénomène de l'intégration et d’inter changement des codes, des structures et des systèmes entre les arts et les sciences. 

               Pourquoi ferions-nous cela ? Pourquoi employer, par exemple, un modèle digital (le WEB hypertexte) pour produire un texte ou faire une mise en scène qui semblerait plus facile à produire sans lui ? 

               Une réponse évidente, mais tout a fait radicale, serait « parce qu’on n’ pas le choix ». Les principes de l'esthétique de l'art changent toujours ; l'art dépend, en même temps, de la subjectivité humaine, de ses rapports avec la réalité objectivité et de l'utilisation des outils et des techniques; et si sur tous ces points le monde a changé, les principes de l'art doivent également le faire.

            Le spectacle de théâtre a été plus influencé par des nouvelles découvertes techniques, adaptées aux besoins de la scène, surtout a partir du vingtième siècle. Nous rappelons, dans cet ordre d’idées, le « corps machine augmenté a travers l’espace » ou le décor et le costume convergents de Schlemmer et de Bauhaus, l’accent mis par le mouvement Futuriste sur la technologie comme moyen de faire avancer le discours esthétique, les changements dans l’éclairage faits par Appia, l’invention de la scène constructiviste, les biomécanismes de Meyerhold et l’utilisation de la projection vidéo par Eisenstein ; l’art expérimentale de Nam June Paik et Fluxus, Merce Cunningham, John Cage et Robert Rauschenberg, Laurie Anderson, et Billy Viola.

           

           

 

Le but des hommes de théâtre est, selon moi,

d’exprimer des thèmes éternels

à l’aide des outils spécifiques pour leur temps.

Robert Edmund JONES

 

 

Le théâtre virtuel de « transition » : The Adding Machine et Wings

 

            Si nous sommes d’accord sur le fait que l’art de nos jours est, plus que jamais, relié à la science, d’une manière ou d’une autre, a partir de sa production jusqu’à sa diffusion ou a ses moyens de stockage, nous pouvons, aussi, affirmer que le résultat le plus représentatif des influences de l’Internet et de la technologie virtuelle sur le texte et le théâtre est un produit culturel, déjà bien mis en application dans l’histoire de l’art américain[3], qui porte le nom de théâtre virtuel.

            The Adding Machine et Wings sont deux spectacles très particuliers dans l’histoire du théâtres virtuels, a mon avis, parce qu’ils contiennent un systeme virtuel qui est, d’abord, utilisé comme moyen de valoriser le texte de théâtre et de mettre l’acteur (auquel les producteurs donnent la même importance qu’a la technologie, au moins d’une manière déclarative) dans un contexte interdisciplinaire qui lui permet de découvrir des nouvelles moyens d’interprétation théâtrale.

            Ils représentent deux « œuvres de transition » ou l’acteur se trouve encore sur la scène, ou il joue encore devant un public, ainsi, ou il partage encore le même temps et le même espace théâtral avec les spectateurs.

               Dans ces deux cas, la virtualité, comme outil pour interpréter est expérimenter le réel, offre la possibilité d’un nouvel discours esthétique sur l’art de l’acteur, l’utilisation des technologies virtuelles dans le théâtre nous obligeant à nous demander si les temps sont venus de parler d’une redéfinition esthétique, conceptuelle et pratique de l’actant dans le processus scénique. 

               La principale caractéristique du théâtre virtuel de Mark Reaney est l’immatérialité de la scénographie. Il n’y a pas de doute que, en dehors de l’aspect pratique et économique (parce que touts les décors sont sauvegardés sur un CD ROM) de ce format, la virtualité apporte des changements aux arts de l’acteur et de la mise en scène. 

               La question qui se pose est quelles sortes de changements se passent et quel est leur degré de radicalité.

            Un facteur tout a fait différent, par rapport a la scène et a la scénographie traditionnelle, est le décor performatif utilisé dans The Adding Machine et Wings, qui, par sa multifonctionnalité, par sa fluidité et par sa capacité a se métamorphoser dans n’importe quel espace réel, imaginaire, extérieur ou mental, devient un partenaire dynamique de jeu de l’acteur. Le simple fait que la scénographie (manipulée par les opérateurs de l’ordinateur) s’adapte constamment au jeu « live » de l’acteur, en interagissant en temps réel avec lui, provoque des modifications dans sa façon de se manifester su la scène, d’aborder le personnage et, surtout, dans la qualité de sa présence scénique[4].

            Les spectacles de Mark Reaney repoussent encore les limites de ces questions, en suggérant la possibilité de remplacement de l’acteur vivant par un « hybride post acteur », créé par la collaboration entre un opérateur d’ordinateur et un avatar digital. Nous pouvons nous imaginer, si nous discutons ce sujet dans le contexte de l’art de Maeterlinck, qui rêvait a un théâtre sans acteurs ou de l’art de Gordon Craig et sa Ubermarionette, que l’interprète, qui s’accorde parfaitement à une scénographie virtuelle, peut être un acteur dépouillé de sa corporalité. Un acteur virtuel, sans consistance matérielle, qui transgresse les limites de son physique, de sa biologie, de l’espace physique et de temps objectif.

            Ainsi, le problème qui surgit et sur lequel nous réfléchissons après avoir pris conscience de l’existence de ces productions est si, en supprimant le corps charnel de l’acteur qui joue son rôle « live » devant un public, nous perdons la caractéristique essentielle du théâtre, celle qui, dans le siècle de la mondialisation, de l’heterogeneité et de l’effacement des limites, rend au théâtre son identité artistique unique : la relation directe entre le public et les acteurs.

            La problématique qui se dégage de ces deux spectacles est très vaste, ainsi, afin de réduire le champs des idées et de nous concentrer sur un aspect qui est essentiel, a mon avis, dans l’art du théâtre contemporain, nous nous intéresserons a : la formation de l’acteur.

           

 

Les enjeux/les objectives/les questions

 

            L’enjeu de ce mémoire est de discuter (a partir des expériences des acteurs, du metteur en scène et de l’artiste vidéo dans Adding Machine, 1995 et Wings, 1996) les changements qui se passent dans l’art de l’acteur qui se trouve face a face avec les technologies virtuels et la redéfinition de son rôle dans ces ouvrages collectives.

            A partir des discussions avec les membres des équipes artistiques de Adding Machine et Wings, nous allons commenter les traits, les techniques et les capacités q’un acteur doit posséder s’il participe a une production du théâtre virtuel : l’importance de l’imagination, de la discipline de jeu et de l’expérience du jeu filmique.

            La question de l’acteur qui joue dans un spectacle virtuel circonscrit un champ dynamique très complexe, qui se forme autour des plusieurs aspects et interrogations :

·         l’hypothèse de « l’annihilation » de l’interprète dans ses données traditionnelles par les effets des technologies utilisées,

·         l’hypothèse de l’hybride entre l’acteur vivant et le virtuel ; l’hypothèse du virtuel vu comme des prothèses qui accroissent les capacités physiques et mentales ;

·         l’hypothèse de la présence physique redéfinie comme capacité de réagir d’une manière interactive avec les éléments non humains ou créée par l’introduction d’une autre manière d’observer les images, (par l’isolement d’un organe, l’agrandissement, le ralenti d’un mouvement, la déconstruction d’une image) ;

·         l’hypothèse de l’« acteur post humain » selon les théories de post humanisme de Katherine Hayles.

           

            En raison de la complexité de tous ces sujets, nous avons choisit, finalement, de focaliser les discussions de cette étude sur la question du jeu de l’acteur et sur les techniques employées dans un spectacle virtuel.

            Je justifie ce choix par une affirmation faite par Mark Reaney qui considère que, maintenant, un de plus grands obstacles dans un spectacle de théâtre virtuel est la relation et l’interaction entre les acteurs et les écrans de projection qui, a la fois, limitent, a cause de leur position, le jeu de l’acteur, ses mouvements dans l’espace de la scène, et l’obligent a employer des techniques de jeu variées et parfois paradoxales.

            Un moyen de résoudre ce problème, dit encore Mark Reaney, est de trouver de nouvelles surfaces pour la projetions : des vapeurs, de la fumée, des hologrammes ; mais, des lors, c’est a l’acteur de s’adapter aux nouvelles conditions de jeu et de faire de son mieux.

            Ainsi, la principale question qui va être développée est l’hypothèse des nouveaux moyens de jouer, à partir de laquelle plusieurs aspects seront encore ouverts.

            Tous ces points vont être développés dans la question du contexte général du spectacle (LInstitut pour l’Etude du Virtuel de Kansas, les membres de l’équipe artistique, leurs objectifs, leur choix du texte, le processus du travail, le protocole de la répétition).

                       

Méthodologie :

           

            Nous utilisons comme sources primaires : un DVD avec des images videos, des photos prises de Adding Machine et Wings, des interviews inédites avec Ron Willis, Jenny Nichols, Lance Gharavi, et, comme sources secondaires : des articles écrits par Mark Reaney sur ses spectacles (ou il y a aussi des fragments descriptifs de la mise en scène et de la technologie utilisée).

 

  Les conditions de l’analyse :

           

            Les spectacles The Adding Machine et Wings n’ont pas été filmés (la vidéo du spectacle ne capte pas les effets 3 D), les réalisateurs préfèrent ne garder que quelques images videos prises pendant les répétitions et des photos qui ont été retouchées sur ordinateur pour créer et donner l’impression de la virtualité.

            Dans ces conditions, pour restituer une partie de l’expérience esthétique qui a été spécifique au public, j’ai effectué une analyse-reconstitution a partir de plusieurs documents : des articles écrits sur les deux spectacles par Mark Reaney, des descriptions du spectacle Wings faites par Franck Bauschard[5], des entretiens avec Ron Willis (le metteur en scène), Jenny Nichols (l’actrice incarnant Emily Stilson dans Wings) et Lance Gharavi (assistant du metteur en scène pour Wings), qui m’ont aidée a faire une étude du contexte de la représentation et une restauration du comportement des acteurs.

            Ainsi, j’ai pu avoir accès a une description verbale des spectacles, aux documents annexes (les photographies comme identification des attitudes et un film vidéo de 21 minutes avec des images pendant la répétition) qui m’ont aidée a me représenter une image du style de jeu et des composantes de jeu : la gestualité, la visibilité corporelle, l’orientation de corps, les déplacements dans l’espace scénique.

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




[1] So we come to the question of actor as artist. The mediocre artist prefers not to take risks, which is why he is conventional. Everything that is conventional, everything that is mediocre is linked to this fear. The conventional actor puts a seal on his work, and sealing is a defensive act. To open oneself, one must knock down the walls.

 

[2] On définit la réalité virtuelle comme un ensemble de technologies qui permettent d’immerger un utilisateur dans un environnement virtuel en temps réel et en interaction. L’immersion s’effectue grâce à une vision en 3 D (vision stéréoscopique) qui peut être réalisée grâce à des systèmes portatifs de type casque ou il y a deux petits écrans (un pour chaque oeil), ou grâce à des systèmes fixes qui disposent de grands écrans ou sont projetées deux images (une paire des lunettes est nécessaire pour séparer les deux flux d’images).

[3] A partir des années 90, en Kansas, les mises en scènes de Ron Willis et du designer, et technologiste scénographe Mark Reaney introduisent pour la première fois dans un spectacle de théâtre (Adding Machine en 1995) le décor virtuel performative et (Wings en 1996) le HMD (head mounted display) pour le public.

[4] La présence est un principe fondamental dans les arts du spectacle qui s’articule autour les notions d’urgence, d’authenticité et d’originalité, de la non médiation et de l’immédiate. La présence incite des questions sur la conscience de soi-même, l’interaction, et sur l’endroit de cette interaction. Les discussions au sujet de la présence de l’acteur ont été au milieu des aspects principaux de la pratique et de la théorie théâtrales depuis les années 50 et sont une partie essentielle de l’avant-garde et de la performance post-moderne. L’enclenchement du théâtre expérimental avec les médias visuels et les nouvelles technologies virtuelles ont intensifié plus l’importance de ces questions.

[5] Théâtre et réalité virtuelle. Une introduction a la démarche de Mark Reaney, in Les Ecrans sur la scène, L’age d’Homme, Lausanne, Switzerland, 1998, pp. 225-245.

 

Ozana Budau:
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