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UNIFORMES SCOLAIRES/ DES TOP MODELS A L’ECOLE

UNIFORMES SCOLAIRES/ DES TOP MODELS A L’ECOLE

Les élèves des lycées et collèges du Bénin s’habillent de plus en plus à leur goût en milieu scolaire. Que ce soit dans le secteur public ou le privé, le modèle officiel des tenues scolaires n’est plus respecté. Chez les filles, la tendance est de porter court, très court, transparent avec un décolleté plongeant jusqu’au nombril. Un phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur malgré ses nombreuses implications et conséquences sur le système éducatif béninois.

Eric A.K. OTCHOUN

Nous sommes à Cotonou au quartier Sainte-Rita dans un atelier de couture. L’enseigne indique qu’il s’y confectionne des tenues pour hommes et pour dames. Estelle, 18ans, est très affairée dans l’essayage de sa nouvelle tenue scolaire. Son frère ainé Bob, 19 ans, ne l’est pas moins avec un autre apprenti qui l’aide à enfiler une culotte bouffante, une sorte de bermuda couleur kaki dans laquelle il se noie carrément. Assise dans un coin, Madame M. couve sa progéniture d’un regard bienveillant et attentionné.

« La robe est trop longue .raccourcies -la encore un peu plus… au dessus des genoux…qu’elle me serre bien aux hanches…et aux fesses. » indique Estelle au couturier qui s’exécute aussitôt pour réajuster les épingles. Estelle comme son frère, sont tous élèves en classe de Troisième dans un établissement public. La puberté lui confère une gracieuse silhouette et une poitrine épanouie qu’elle exhibe maintenant devant le miroir. « La couleur de la robe va bien avec ton teint. Ce sont les gars qui vont tomber comme des mouches.» complimente le couturier. «Fais-nous quelques pas.» lui jette sa mère. Férue de la mode, Estelle ne rate aucune occasion pouvant lui permettre de mettre en valeur son teint métissé et ses reins cambrés en valeur quitte à déroger à la réglementation en vigueur en matière d’uniforme scolaire. Sa robe Kaki, s’arrête juste au dessus ses genoux mettant en relief ses cuisses musclées et les contours de ses jambes surtout lorsqu’elle essaie de ramasser quelque chose par terre. Elle allonge sur ses épaules les nombreuses nattes fines tressées de son abondante chevelure. Sa démarche empreinte de mouvements souples, doux et gracieux force le regard admiratif de toute l’assistante qui éclate de rires. Son frère Bob lève la tête suite aux rires et lève le pouce en signe d’assentiment. Il vient lui aussi de s’affubler de son nouvel uniforme scolaire. Un ensemble culotte plus chemise, aux poches multiples et multiformes, aussi bien internes qu’externes dans lequel il nage comme un poisson. Il marche à pas rapides tout en sautillant le long de l’atelier, s’arrête brusquement, se retourne et secoue la tête de l’avant vers l’arrière, satisfait. Nouvel éclat de rires de l’assistance. Selon Madame M. ses enfants n’exagèrent en rien dans leurs tenues :

« Ceci n’est rien à côté de ce qu’on voit dans certains collèges privés où les enfants sont dénudés avec des jupes fendillées jusqu’aux hanches. C’est la preuve qu’il n’y pas de lois en ce sens.» Dubitatif le couturier me lance : « Nous, nous confectionnons ce qu’on nous demande de faire. On n’est pas là pour poser des questions.

Un phénomène à la mode

Elles sont des milliers d’élèves Béninoises à être à l’école d’Estelle » à voir le défilé de modes improvisé à la sortie des écoles. Vêtues à l’image de leurs idoles, grandes divas de la musique, du mannequinat, ou des feuilletons télévisés, elles circulent allègrement, en toute liberté, avec des déhanchements exhaustifs, aux abords et à l’intérieur des établissements scolaires. Des surveillants généraux en perdent leur latin et sont incapables de les rappeler à l’ordre. Coiffures, tresses fantaisistes, maquillages extravagants et autres accessoires de mode riment avec démarche provocante. Les robes «chéri, regardes mon dos » voltigent à longueur de journée. Le dos aussi nu qu’un œuf est exposé à la vue du premier venu. La tendance est claire : porter le plus transparent possible, court, très court, avec un décolleté plongeant jusqu’au nombril si ce dernier n’est déjà à l’air libre. Le tout est assorti d’une paire de lunettes teintées posées sur le nez, et en main, un tout petit sac « à la mode » laissant apparaitre les ouvrages scolaires. Cet exhibitionnisme qui ravie les voyeurs, ne laisse pas indifférents certains usagers de la route qui distraits, vont emboutir leur vis-à-vis provocant des accidents de la circulation. «Je n’ai aucune idée derrière la tête et je n’ai l’intention de séduire ni mes professeurs ni mes camarades de classe et ni les passants. Si je les excite par ma tenue, ça veut dire que je ne suis pas mal du tout et que j’aurai des hommes à mes pieds. J’aime m’habiller et me rendre belle.», clame-t-elle tout haut un sourire innocent aux lèvres. « La mode est faite pour être suivie. Il n’y a aucun règlement intérieur d’établissement qui empêche les élèves d’être beaux ou belles à l’école. », Ajoute-t-elle avec force. Chez les garçons la tendance est de porter débraillé, négligé ou être tiré à quatre épingles. Avec tous les excès imaginables. Les habitudes vestimentaires des stars de rap américain servent très souvent de modèles à la confection de l’uniforme. Il est fréquent de les voir en culotte bouffante aux dimensions exagérées avec des chemises à col ouvert ou sans col du tout, avec ou sans poches. Ils se font même très souvent arracher des épaulettes par les autorités académiques lors de contrôles inopinés ou des cérémonies des couleurs. «Les jeunes qui ne suivent pas la mode n’intéressent pas les jeunes filles.», explique Bob. Il avoue que c’est pour se faire remarquer des filles qu’il a adopté son look de rappeur et n’hésite donc pas à enfreindre le règlement pour adapter son uniforme scolaire. Leurs camarades plus âgés du second cycle, tirés à quatre épingles, se taillent carrément des complets smokings dans le tissu officiel couleur kaki. Ici ce sont les diverses marques de chaussures qui se livrent un lutte sans merçi sur le terrain. Celui qui porte la paire de chaussures la plus chère ou la griffe à la mode est respecté de tous. « C’est la mode. Ils vivent leur temps. », Déclarent dépitée Victorine, employée dans une cantine scolaire.

Une réglementation foulée aux pieds

Au Bénin, le port de l’uniforme kaki est obligatoire dans l’enseignement primaire et secondaire. Sa prescription remonte à l’ère des indépendances en 1960. L’objectif étant de montrer que l’école refuse les distinctions sociales et religieuses en tant que sanctuaire républicain. L’uniforme permet de localiser plus facilement les élèves « buissonniers », de supprimer des tensions familiales et le sentiment d’injustice chez les enfants des familles modestes qui veulent se faire offrir des vêtements à la mode. Selon les détracteurs de la mesure taxés à cette époque d’antirévolutionnaires, on ne peut bâtir une école sur le seul modèle de la classe moyenne. Selon eux Il faut intégrer les enfants venus à l’école sans rompre leur histoire personnelle. Bref l’uniforme supprime les différences sociales, en apparence ; dans la classe il n’y a plus de riches ni de pauvres, mais seulement des élèves. Cette mesure salutaire permet pourtant aux parents de ne pas crouler sous la guerre des marques et de se procurer le tissu officiel à un prix accessible dés la rentrée académique de 1974-1975 où le gouvernement marxiste-léniniste rendit la couleur unie kaki officiel pour tous avec un model imposé. Ainsi du cours d’initiation du primaire jusqu’en classe de Troisième du secondaire, l’uniforme kaki des garçons est constituée d’une chemise aux manches courtes et d’une culotte courte. La chemise qui se ferme par des boutons, présente de face trois poches plaquées. L’une sur la poitrine, du côté gauche et les deux autres en bas, l’une à droite et l’autre à gauche. La culotte quant à elle arrive à hauteur des genoux et porte en arrière sur chaque fesse, deux poches plaquées. Les garçons du second cycle quant à eux portent un pantalon sur des chemises identiques. La robe des filles au primaire est sans manches, évasé en bas, et arrive à mi-tibia. Elle présente deux poches latérales droite et gauche. La robe se ferme au bas de la nuque par un bouton ou une agrafe. A partir de la classe de sixième, la robe est plutôt munie d’un col chemisier, de deux manches larges relevées arrivant aux coudes.Et pourtant…

Les entorses au model officiel de l’uniforme scolaire font leur apparition à la rentrée 1992-1993.où une multitude d’établissements scolaires privés voie le jour grâce au Renouveau Démocratique. Si certains se contentent de la tenue kaki, les autres rivalisent de couleurs et de modèles pour être plus visibles dans les rues. Jupes, chemises sans col, à carreaux bleus, corsages jaunes ou blancs, bermudas et autres se côtoient joyeusement dans l’extravagance. « Ma nièce est passé me dire bonjour la dernière fois en revenant du lycée. J’ai cru qu’elle revenait d’une virée en boîte. », Raconte Pascal Gbètovè un parent encore sous le choc. « Les promoteurs d’établissements privés habillent leurs élèves filles avec une telle liberté que vous les confondez aux apprenties couturières ou coiffeuses. Je me demande si c’est la publicité ils font comme cela. », renchérit Simon N. son mécanicien. « La publicité c’est par les bons résultats académiques et non par les uniformes. », assène Isidor Goyito, directeur d’un complexe scolaire.

Des enseignants dans tous leurs états

Les excès vestimentaires des élèves ne sont pas sans effets sur les enseignants. D’abord agacés par la frime des garçons, la plupart des professeurs masculins confessent ensuite qu’ils ressentent de la gêne à déambuler parmi ces filles de plus en plus sexy et qui affichent très souvent à leur égard des attitudes de séduction. Dans un environnement où environ quatre vingt pour cent du corps professoral est de la même génération que les apprenants, même les vocations les plus solides sont vite ébranlées. Jonas K. confesse résigné qu’il a finie par craquer pour quelques unes de ses élèves. « Je suis aussi un être doué de sentiments.», revendique-t-il. Pour Justin Agbêton, un retraité de l’enseignement secondaire public, l’approche par compétences en vigueur dans les programmes d’études et rejetée par certains syndicats d’enseignants n’explique par à lui seul le très faible taux de réussite aux derniers examens. « Ce phénomène ternie l’image de l’école béninoise. Il est à la base des accointances malsaines qu’on observe entre des professeurs indélicats et leurs élèves filles adeptes de la facilité. Les autorités administratives des lycées et collèges sont devenus laxistes. », Fustige-t-il. Certains de ses collègues féminines voient dans l’attitude des filles la légendaire rivalité entre femmes. « Elle vous toise carrément et par leur attitude vous montrent qu’elles aussi peuvent séduire un homme par leur tenue autant que vous, oubliant ce pourquoi elles sont là. », affirme Juliette O. enseignante au collège public de Sakété. Benoît F. enseignant dans un établissement privé avoue son impuissance face à ces uniformes moulants et ultra courts. « J’ai plusieurs fois fait la remarque et on m’a dit de me taire. Mon patron ne voulait pas perdre des élèves. Alors comme moi je tiens à mon job…bouche cousue. », Confie-t-il.

Une réussite scolaire compromise… des vies brisées…

Le laxisme des chefs d’établissements scolaire et la manie des jeunes lycéens et collégiens béninois à « créer » leur propre ligne de vêtements scolaires n’est pas sans conséquences sur leur cursus scolaire. Sylvestre T. affirme preuves à l’appui avoir subi des brimades de la part de son professeur de maths tout simplement parce que la fille provocante que ce dernier courtisait est sa camarade de table. « il me prenait pour son rival et abusait de sa position pour m’assigner toutes sortes de punitions car ma camarade résistait à ses avances. » explique –t-il. Les élèves filles victimes de ces harcèlements qu’elles suscitent par leur tenues, succombent, cèdent, attrapent une grossesse et se retrouvent sans soutien. L’enseignant ne voulant pas très souvent assumer sa faute professionnelle de peur de subir la rigueur de la loi et perdre son emploi. « Après avoir essayé avec maints périls des avortements sans succès, ces filles-mères ou futures mères désemparées et rejetées se retrouvent ici chez nous à la recherche de soutien moral ou financier que nous essayons de leur fournir. » affirme Christiane Mbaï coordonatrice d’une organisation non gouvernementale d’insertion sociale des filles déscolarisées et très inquiète du phénomène. Au Bénin où le taux d’analphabétisme est d’environ 67,5 % atteignant 78 % pour les femmes, les efforts du gouvernement pour une scolarisation accrue des filles par la gratuité de leur inscription montrera vite ses limites vue la nouvelle motivation qui les amène à aller à l’école. Outre les cas sociaux dramatiques engendrés, cette course à la coquetterie chez les filles et au libertinage vestimentaire chez les garçons les amènent à consacrer la majeure partie de leur temps à autres choses qu’aux études. Si ce ne sont les garçons qui se donnent à des activités illicites pour s’acheter les marques de chaussures à la mode, ce sont les filles qui se livrent à la prostitution pour s’équiper en accessoires de mode et passer le plus clair de leur temps chez leur coiffeuse attitrée. « J’ai fini par croire que les programmes scolaires ont été allégés vu l’assiduité remarquable de la plupart des élèves que je reçois. Certaines de nos réalisations en coiffures ou en tresses exigent souvent l’entière et pleine disponibilité de nos clientes parfois quatre heures ou plusieurs séances. Alors pour une même personne, un nouveau modèle chaque semaine… !»S’étonne Clarisse Awadé, coiffeuse à Cotonou.

Quelques solutions…

Un constat général s’impose. La dépravation des uniformes scolaires au Bénin ne laisse personne indifférent mais rien de concret n’est fait pour tuer ce ver qui ronge le secteur éducatif sinon des réprobations de principes. D’abord le rôle primordial des parents est de limiter les excès vestimentaires de leurs enfants. « Beaucoup de parents n’appréhendent pas encore le travail qui leur revient dans l’éducation de leurs enfants. C’est avilissant de voir un jeune homme volontairement habillé en clochard ou une jeune fille exhiber toute sa féminité en portant une tenue scolaire ultra courte et décolletée et la laisser sortir ainsi. », S’insurge Irmine Biaou bibliothécaire dans un collège privé.        

«Il nous faudra africaniser nos uniformes scolaires pour que notre code vestimentaire traditionnel et moral ne se perde. Nos filles ne savent même plus nouer le pagne autour de la taille ou le foulard autour de la tête. C’est pathétique quand vous voyez de jeunes lycéens étranglés quotidiennement par une cravate et suant à grosses gouttes sous notre chaud climat. »Précise Sylvie une mère de famille. Ensuite pour contrer ce problème, les directions d’établissements scolaires surtout privés pour protéger leurs élèves, pourraient retenir les services de couturiers professionnels pour dessiner des costumes décents adaptés aux besoins ou aux exigences particulières de leur établissement et à l’environnement culturel. L’idéal est de concevoir et de choisir l’uniforme porté par leurs jeunes afin que chacun (et chacune) soit vêtu convenablement et, par-dessus tout, soit en sécurité Les enseignants malgré leur faiblesse humaine devront se réapproprier leur code déontologique professionnel pour ne pas être seulement des instructeurs mais aussi et surtout des éducateurs. Par ailleurs il est clair aujourd’hui que les médias ont remplacé la famille et l’école pour devenir l’instance de socialisation majeure de la société béninoise contemporaine et surtout celle des jeunes en particulier. L’éducation aux médias devra être introduite aussi bien dans la formation des enseignants que dans les programmes scolaires. Cette formation permettra aux enseignants de mieux comprendre la production médiatique, le langage audiovisuel, les représentations et les publics médiatiques. Ils pourront ainsi à leur tour suggérer aux adolescents béninois, consommateurs passifs des médias, un cheminement critique et créatif dans leur esprit tout en cultivant en eux une certaine curiosité. Impuissants à censurer tous les stéréotypes et images néfastes à notre système éducatif, nous devons éduquer et réguler le regard des jeunes collégiens. Ils sont ce que la société béninoise leur propose d’être, pas des mutants. Il ne s’agit pas de leur couper les ailes mais de leur donner beaucoup plus de racines saines arrosées des valeurs positives et universelles de notre culture. Car chaque enfant bien éduqué est un leader éclairé pour l’avenir de la nation.

Eric OTCHOUN:
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